Paris, le 19/06/2007

Monsieur Laurent DEGOS

Président de la HAS 2 Avenue du Stade de France 93210 Saint Denis

Copie à Madame le Ministre de la Santé

Monsieur le Président,

Au regard des fonctions assumées par la Haute Autorité de Santé, notamment celle relative à l’évaluation du service attendu ou rendu des produits, actes et prestations de santé, je souhaiterais attirer votre attention sur un problème de santé publique qui m’apparaît de la plus haute importance et qui représente aujourd’hui une véritable tragédie sanitaire.

Plus d’une dizaine de milliers d’enfants français se voient prescrire du Méthylphénidate (Ritaline, Concerta), un dérivé amphétaminique administré pour traiter leur supposé « Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (ou TDHA) ». Selon les données disponibles, plus de 6 millions d’enfants américains, 400 000 britanniques, 1 million de canadiens, 25 000 finlandais, etc, consomment ce type de drogues. A en croire les études sur le sujet, près de 5% des écoliers français souffriraient de ce trouble. Qui peut dire combien de dizaines de milliers d’enfants consommeront ces produits dans un, deux, trois ou quatre ans ?

Je souhaite tout d’abord attirer votre attention sur la controverse majeure qui anime aujourd’hui la communauté médicale internationale concernant la réalité de ce trouble. Le fait est que l’extrême subjectivité des critères diagnostiques du TDHA conduit à une variation majeure du taux de prévalence de ce trouble selon les études. Ainsi peut-on lire dans le rapport de l’INSERM (Dépistage et prévention des troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent. 2002) que la prévalence du TDAH, varie, selon les études, de 0,4 à 16% ! Comment ne pas être profondément choqué par un tel manque de rigueur, surtout lorsqu’on considère que sur la base d’un diagnostic aussi critiquable, des enfants vont se voir prescrire une drogue stupéfiante, hautement délétère et potentiellement létale ?

Il apparaît en fait très clairement dans ce dossier que la démarche des psychiatres a été strictement du même ordre que celle que le professeur ZARIFIAN avait clairement exposée dans le rapport qu’il avait remis en 1995 à Monsieur DOUSTE-BLAZY, ministre de la santé, pour expliquer les raisons qui faisaient de notre pays le leader mondial de la consommation de psychotropes. Concrètement, il s’est agi pour les psychiatres à l’origine de la définition de ce trouble de prendre des comportements somme toute strictement normaux de la part d’enfants, de réduire le champ du normal par un artifice grossier (le qualificatif « souvent » est ainsi utilisé pour 17 des 18 critères diagnostiques. Le qualificatif « facilement », tout autant dénué d’objectivité étant utilisé pour le 18ème), de faire de cette collection de supposés comportements anormaux un trouble en soi, de coller une étiquette diagnostique sur l’ensemble et, bien entendu, de prescrire les drogues psychotropes censées atténuer ces « symptômes », étant entendu de l’avis même des prescripteurs que le Methylphénidate ne traite pas ce trouble.

Au delà de cet aspect profondément choquant de ce dossier, pour lequel la HAS nous semble devoir jouer un rôle majeur en formulant un avis souverain en sa qualité d’organisme d’expertise scientifique public et indépendant, je voudrais attirer votre attention sur les conditions dans lesquelles interviennent trop souvent les prescriptions de Méthylphénidate dans le cadre de la prise en charge de ce supposé trouble. Ces conditions constituent, selon notre association, une violation des dispositions de l’article L.1111-2 du code de la Santé publique qui stipule que :

« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus... »

Par cet article, le législateur a clairement établi sa volonté de faire en sorte que chaque citoyen dispose de toutes les informations lui permettant de se déterminer en toute connaissance de cause en ce qui concerne les traitements susceptibles de lui être administrés ou d’être administrés à l’un de ses proches.

Ces obligations ont d’ailleurs été reprises dans le code de déontologie médicale qui, en son article 35 stipule : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ».

Or, chaque fois qu’il m’a été donné de m’entretenir avec des parents dont les enfants avaient été mis sous Ritaline, il est apparu que les informations communiquées aux parents au sujet de ce médicament étaient soit très partielles, soit de toute évidence contraires aux données actuelles de la science. Des constatations similaires ont été faites par un certain nombre de confrères et consœurs avec lesquels j’ai été amené à m’entretenir sur ce sujet.

En effet, les parents des enfants mis sous Ritaline se voient très souvent, sinon de façon quasi systématique, communiquer que cette substance est une drogue sans danger, dont il est facile de se sevrer et dont les effets secondaires gênants se limitent à des troubles de l’appétit ou du sommeil, en règle générale rapidement résolutifs.

Ces informations minimisent de façon évidente et inadmissible les effets secondaires graves imputables à la Ritaline tels que : Troubles psychotiques, épisodes hallucinatoires, agressivité, suicides et plus récemment encore la survenue de troubles cardiaques, de morts subites et de troubles de la croissance. (Cf. Recommandations de la FDA et obligation faite par cette instance aux industries pharmaceutiques d’apposer sur les boîtes de Méthylphénidate, une Black Label, mettant en garde contre ces risques).

Il me semble nécessaire de rappeler ici que la Ritaline est une drogue du tableau II (Convention des Nations Unies sur les substances psychotropes. 1971) au même titre que la cocaïne, la metamphétamine, les opiacés ou les barbituriques les plus puissants. Son pouvoir addictogène est indiscutablement établi dans la littérature scientifique.

Par ailleurs, entre 1990 et 2000, le programme de surveillance de la FDA a officiellement recensé 186 décès directement imputables à la Ritaline. (Cf. intervention du docteur BAUGHMAN, neuropédiatre devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 2000).

Dans ce contexte, il apparaît que l’information délivrée aux parents de ces jeunes patients n’est, trop souvent, pas conforme aux données actuelles de la science et constitue à ce titre une information déloyale pouvant être qualifiée de manquement à l’éthique et de faute, en droit général.

Que certains comportements puissent être parfois source de difficultés pour l'enfant et son entourage, et traduire un réel problème de santé, j'en conviens sans difficultés. Mais alors, pourquoi essayer d'atténuer certains symptômes, qui plus est pour une période de temps limitée et au prix d'effets délétères majeurs, alors qu'une démarche médicale logique et appropriée serait de traiter la cause sous-jacente ?

De nombreux facteurs sont susceptibles d'affecter l'équilibre psychique et le comportement des enfants (carences affectives ou éducatives, difficultés scolaires, problèmes de santé tels que des allergies ou des carences nutritionnelles...).

Quelques exemples pour illustrer ces propos: Le Dr L.M PELSSER, du centre de recherche sur l'hyperactivité et le THADA, à Middleburg (Pays-Bas) a découvert que le comportement de 62% des enfants diagnostiqués comme souffrant de THADA s'était grandement amélioré après un changement d'alimentation d'une durée de 3 semaines, impliquant l’identification et la suppression des aliments auxquels l’enfant était allergique. Une étude réalisée par le sociologue Stephen SCHOENTALER, démontre que chez plusieurs centaines d'adolescents incarcérés auxquels on a donné une alimentation stabilisant la glycémie ainsi qu'une supplémentation en vitamine B1 et en magnésium, on a constaté une réduction des agressions physiques de 82%, des vols de 77% et du refus d'obéir de 65%. Le docteur MOUSAIN, pédiatre au centre hospitalier de Nîmes, a pris en charge des dizaines d’enfants qui avaient été mis sous Ritaline. Plus de 90% de ces enfants étaient carencés en magnésium (carence objectivée par le dosage du magnésium érythrocytaire). Pour chacun de ces enfants, tout est rentré ans l’ordre en quelques semaines avec la prescription de magnésium, de vitamine B6 et le sevrage de la Ritaline, bien entendu.

Ces éléments sont aujourd’hui incontournables. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en date du 7 mai 2002, invitait d’ailleurs les gouvernements des états membres à :
a : Contrôler plus étroitement le diagnostic et le traitement des enfants présentant des symptômes de troubles déficitaires de l’attention / hyperactivité ou de troubles similaires.
b : Coordonner et intensifier les recherches portant sur la prévalence, les causes, le diagnostic et le traitement (en particulier les traitements alternatifs tels que l’alimentation – souligné par nos soins-) de ces désordres et, en particulier, sur les effets à long terme des psychostimulants prescrits à titre de traitement ainsi que sur le rôle des facteurs sociaux, éducatifs et culturels.
c : Elaborer et mettre à la disposition des parents d’enfants atteints de ces troubles, les documents expliquant les possibilités existantes pour améliorer leur condition.

Par ailleurs, la stratégie thérapeutique visant à prescrire une drogue hautement délétère, potentiellement létale, alors que des solutions saines et remarquablement efficaces existent, me semble contrevenir aux dispositions de l’article L.1110-5 qui stipule que :

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ».

Je voudrais rappeler ici que la conférence de consensus du NIH (National Institute of Health) concluait en 1998 que « Chez les sujets médicamentés, les psycho stimulants semblent améliorer la concentration et l’effort tout en minimisant l’impulsivité et augmentant la docilité pour une courte période d’environ 7 à 18 semaines, pour ensuite perdre toute efficacité ».

Par ailleurs, alors que les prescripteurs de Methylphénidate avancent souvent, pour vaincre les réticences des parents, l’argument relatif au risque d’échec scolaire en l’absence de traitement, la conférence de consensus du NIH ajoutait quant à elle : « Ce qui est préoccupant, ce sont les constats réguliers selon lesquels malgré l’amélioration temporaire des symptômes centraux, il y a peu d’amélioration dans les résultats scolaires ou les relations sociales ».

Pour le Professeur BREGGIN, psychiatre, psychopharmacologue, expert près les tribunaux américains, « Il est important de comprendre que le diagnostic d’hyperactivité a été inventé pour justifier la prescription de drogues psychotropes aux enfants. […] De plus, alors que certains comportements sont inhibés pour une durée de quelques semaines, il n’existe aucune preuve tangible de l’amélioration du comportement scolaire, social ou psychologique. Au contraire, les preuves existent démontrant une altération des fonctions cognitives, un retrait social et l’existence d’un état dépressif ».

Le document ci-joint (Cf. Intervention du Pr BREGGIN devant le congrès des Etats-Unis. 2000) expose de façon exhaustive les effets délétères considérables du Methylphénidate ainsi que les effets comportementaux considérés de façon erronée comme bénéfiques.

Professeur, nous ne sommes plus ici dans le cadre d’un sain et nécessaire débat d’idées au sein d’une communauté scientifique. Les divergences considérables de points de vue, tant en ce qui concerne la réalité de ce trouble que la nature des traitements devant être mis en œuvre ainsi que les violations incontestables du code la Santé publique, soulignent indiscutablement l’existence d’un problème majeur, non seulement d’un point de vue médical mais également d’un point de vue déontologique, éthique et juridique. Ce sont des vies d’enfants qui sont en jeu !

Pour ces raisons, j’ai l’honneur de vous demander ce que vous entendez faire pour que cette situation intolérable indigne de notre pays et de notre médecine cesse.

Persuadé que l’extrême nécessité d’agir ne saurait vous échapper et vous remerciant dès à présent pour la diligence avec laquelle vous voudrez bien prendre toutes les mesures appropriées, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes très respectueuses salutations.

Docteur Jean Philippe LABREZE